Mon rêve éternel
Il est 6h du matin.
6h.
Le soleil va se lever ?
J’ouvre les volets. J’aperçois à l’horizon des couleurs miroitantes de douceur, de bonheur et d’espoir. J’entends le doux chant de la nature. Des oiseaux saluent l’aube nouvelle. Un criquet fait la cour à sa chère conquise. La rivière tranquille contourne les rochers. La nature m’invite à l’aimer. C’est l’été fleuri et odorant qui s’annonce, avec les multiples couleurs du printemps. Je sors pieds nus et je sens la rosée qui me chatouille les orteils. Un pas après l’autre, je me nourris de ces sensations extraordinaires. Sur mon visage une douce brise me caresse et me fait frissonner de plaisir. Je jouis de ce moment que je croyais pourtant mort à jamais.
Mort à jamais ?
Mort ?
Pourquoi mort à jamais ?
Quelque chose me dérange alors. Je continue de respirer l’air doux et riche de multiples saveurs.
Quelque chose me pique dans la gorge. Mes poumons se bloquent d’un coup. Mon masque m’asphyxie encore. Je tourne la tête et un lien me tire brutalement vers l’arrière.
Le paysage doux et coloré s’éloigne à une vitesse surdimensionnelle. Je tends les bras pour m’y accrocher. Je cours pour y retourner mais j’ai l’impression que mes jambes pédalent dans le vide et je reste coincée là.
J’ai froid.
J’ai très froid.
Je vais mourir de froid. C’est sûr.
J’ouvre mes yeux qui voulaient rester collés pour s’enivrer de cette folle idée et je me retrouve dans ma bulle de verre. Confinée. Confinée à jamais.
Je viens de me réveiller d’un rêve d’une autre époque. D’une autre vie ? Est-ce que cette vie pourrait exister un jour ? Est-ce que cette vie a pu exister un jour ? Un vie où l’on pourrait sortir librement dans la nature douce et tendre. Une nature verdoyante et constellée de multiples variétés de plantes inondées de pétales et de pétioles, d’insectes multicolores, d’animaux sauvages, d’humains qui randonnent avec un sac à dos et une tente. Tu imagines des humains qui s’allongeraient à même le sol sur la prairie d’une montagne riche d’une herbe grasse et verdoyante ou même, soyons fous, qui pourraient se vautrer sur une plage de sable fin au bord d’une mer enchanteresse.
Et rêver.
Rêver.
Rêver de sortir de cette bulle de verre pour nager dans un lac, dans la rivière ou non mieux dans un océan ou un lagon.
Tu imagines un peu ? Nager dans une mer avec une eau turquoise et des poissons heureux de s’ébattre et de se faufiler entre les algues. On pourrait flirter avec les tortues et s’émerveiller de coraux multicolores.
"Mais les coraux multicolores ça n’existe pas !
Des coraux multicolores n ‘importe quoi !
La couleur n’existe pas.
Tu en as d’autres des idées ?"
Oui j’en ai d’autres. J’imagine qu’un jour on éclatera nos bulles de verre et qu’on pourra vivre ensemble. Tu sais, on pourrai imaginer des endroits où les gens se rassembleraient pour fêter un anniversaire. On pourrait imaginer des objets de verre dans lesquels on mettrait une boisson colorée. J’imagine bien une boisson d’un rouge vermillon, ou plutôt d’un rouge bordeaux. Une boisson un peu sucrée qui nous enivrerait et nous ferait rire. On passerait un bon moment avec des gens qu’on aime. On pourrait les appeler nos amis. Tu imagines un peu ? On serait là, assis autour d’un objet qu’on pourrait appeler table. On boirait. On rirait. On se toucherait. On s’embrasserait à la fin et on se serrerait dans les bras pour se dire qu’on s’aime et qu’on se reverra bientôt.
Tu imagines un peu?
Imagine.
Imagine ce que ça serait de vivre ensemble.
Quel bonheur on pourrait éprouver à cela. Se soutenir. S’entraider. S’épauler. Se comprendre ou du moins essayer. Quels bonheur on pourrait avoir de vivre sur une planète de vie et d’amour. Une planète où on pourrait en toute liberté aller d’un endroit à l’autre en la foulant de nos pieds pour de vrai. Une planète où on pourrait faire pousser de vrais légumes. Une planète où on pourrait manger ce qu’on produit. Une planète bleue de l’eau de la mer, des rivières et des lacs. Une planète où on pourrait respirer dehors en ouvrant la fenêtre de notre chambre le matin. Tu crois que ça existe une planète comme cela ?
J’en ai marre de ma bulle.
Ma bulle de verre dont je ne suis jamais sortie.
Ma bulle de verre dans laquelle je vais mourir.
Ici la lumière est artificielle. La nuit permanente. Le brouillard constant. Dehors le sol contaminé de souillures chimiques indélébiles et l'air vicié de particules immondes.
On communique sur nos écrans. Uniquement. On est tenu en vie par le biais de capteurs et de tuyaux indestructibles et permanents.
Les règles sont strictes. Pour étudier, pour enfanter, pour dormir, pour manger, pour chanter et même pour mourir.
Il ne me reste que le rêve que je fais chaque matin.
Le rêve d’une nature douce et colorée.
Un rêve que je m’efforce de ne jamais effacer.
Mon rêve.
Christine Hainaut