J’ai fait un rêve. J’étais dans un bar à siroter un mojito bien frappé, lorsqu’elle m’a frôlé. J’ai frissonné malgré la chaleur. Elle m’a électrisé. Je sais, ça fait cliché, mais c’était comme ça dans mon rêve. Le rêve est libre, il décide de sa durée, de son intensité, des lieux, et de son incohérence, bref de tout. Ses cheveux de fée dansaient sur ses épaules dénudées. Sa bouche immense articulait des sons qui devaient s’assembler en mots pour devenir une phrase, courte, ciselée, cinglante, dérangeante aussi. Le brouhaha m’a empêché d’en saisir le sens alors j’ai opiné du chef tout en plongeant le nez dans mon verre. Le serveur m’a jeté un regard indifférent. Je dirais même méprisant et du genre blasé. J’aurais voulu l’y voir dans un cas pareil. Elle a attrapé deux coupes de champagne et a disparu. Je l’ai perdue. J’aurais dû lui dire qu’on pouvait aller chez elle ou chez moi, à sa convenance. Non, c’est lourdingue ce genre de proposition, elle m’aurait giflé ou craché au visage et elle aurait eu raison. Non, je lui aurais dit qu’elle était belle comme le jour et que je voulais finir ma vie à ses côtés, elle aurait fui et elle aurait eu raison.
Je suis sorti. J’ai remonté la rue, mes talons claquaient sur les pavés. Deux types ont salué mon passage. Non, merci. Un chien pissait contre un réverbère. Tiens, j’avais envie moi aussi. Je me suis joint à lui. Nous étions dans une sorte de communion masculine. Je descendais d’un cran dans le règne animal ou bien lui en franchissait un, allez savoir. J’ai entendu un coup de sifflet, j’ai mouillé mes godasses en remontant la braguette. J’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru.
Je suis arrivé devant ma porte, j’ai cherché mes clés. Merde… Je les avais perdues. Le soleil avait chauffé les murs de la ville toute la journée, l’air était doux, et la nuit étoilée, j’avais de la chance. Une lumière rouge éclairait le bout de la rue, des cris de joie me parvenaient. Les mains dans les poches, je me suis avancé. Tiens, j’ai pissé sur mon pantalon. Tant pis. Arrivé devant le portail, un mec m’a dit que c’était une soirée privée. J’étais prié de circuler. Il a lancé dans mon dos que j’étais imprudent de trainer seul la nuit. Rien à faire.
J’ai croisé de nouveau les deux types rencontrés juste avant, le plus petit m’a demandé : tu montes chéri ? Non, merci. Je reviens devant chez moi et m’assois sur les marches. Le cabot m’avait suivi et il a levé la patte à côté de moi. Les chiens marquent ainsi leur territoire. Et moi qu’est-ce que je fais pour jalonner le mien ? J’avais perdu mes clés et je ne pourrais pas humecter les quatre coins de mon appartement. Tiens, j’étais descendu d’un cran dans le règne animal sans m’en apercevoir.
Un singe a surgi en faisant des grimaces. Ils sont comme ça les primates, pas très civilisés et imprévisibles. Il a fait de grands signes pour que je le suive. De toute façon, je n’avais rien d’autre à faire. Il avançait à grandes enjambées en se balançant. J’ai trottiné pour ne pas le perdre de vue. Nous étions dans l’obscurité d’une impasse lorsqu’il s’est retourné. Je ne distinguais que sa silhouette, massive, voutée, mais familière. Le doute s’est emparé de moi, pourtant je ne connais pas de singe. Il m’a parlé : il t’attend, tu devrais rentrer. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire, mais j’ai reconnu la voix. Nous sommes restés là face à face, les yeux dans les yeux. Une inquiétude sourde m’a assailli, il pouvait me sauter dessus, ou s’attacher et refuser de me quitter. Que ferais-je d’un singe ? J’ai assez de problèmes comme ça, j’ai perdu mon job, je ne pouvais pas prendre un animal de compagnie. Il a hoché la tête. Il avait entendu mes pensées. J’ai alors reconnu ses yeux et la peur m’a étouffé. Je me suis enfui, le primate à mes trousses. C’était mon boss qui m’avait viré la veille. Mais quelle jubilation de le voir à son tour dégradé dans le monde animal ! Ce n’est que justice après tout ce qu’il m’a fait endurer. La lumière de ma rue retrouvée m’a rassuré et l’a effrayé.
Où sont passées mes clés ? Devant ma porte, deux valises, elles m’appartiennent, je les reconnais. Elle m’a viré parce que je ne suis pas rentré de la nuit. Au fait, pourquoi n’ai-je pas sonné à l’interphone ? Elle m’aurait ouvert et ensuite j’aurais enlacé son corps chaud sous les draps. J’avais oublié que j’avais une femme. Mais quel con ! Les valises signaient la fin de notre relation. Je me suis assis dessus. J’ai fouillé mes poches. Rien. Je frissonnais sous la fraicheur de la nuit. Les fermetures de l’un des bagages ont retenti dans le silence, j’y cherchais quelque chose pour me réchauffer ; que du linge de femme. J’ai inspecté le deuxième, fébrile. Idem. Je fixais les inquiétantes valises en me demandant où étaient passés mes vêtements. Et pourquoi n’avais-je pas sonné à l’interphone ? Parce que je sais qu’il est en panne… Tout à coup, je me suis senti si vulnérable que les larmes ont envahi mes yeux et roulé sur mes joues barbues. Les hommes ne pleurent pas, disait toujours ma mère. Avec rage, je les ai essuyées d’un revers de main. Un grésillement se propagea dans le jour naissant. L’interphone !
Je sursaute. J’éteins l’alarme du téléphone et me lève sans bruit pour ne pas le réveiller. Je me précipite à la salle de bain. J’observe mon corps dans le miroir. Je touche mes joues, lisses. Je pose un regard incertain sur ma poitrine, puis je glisse une main entre mes cuisses. Rien ne dépasse. Je suis une femme, mais le temps d’un rêve j’ai été un homme. Quelle sensation de liberté de sortir son pénis et de pisser contre un réverbère !