Rêve en bleu, couleur d’une absence
 
Sur cette photo de classe, nous avions cinq ans et nous étions si différents. Toi, sourire canaille, toutes fossettes dehors, tu semblais vouloir bouffer le monde. Moi, petite moue malicieuse, mais tête penchée, avec le timide regard en coin de celle qui manquait déjà de confiance en elle.
Tu étais mon ami, mon amoureux, mon héros. J’aimais tes magnifiques yeux bleus, ton rire, ton courage, ton insouciance et cette façon que tu avais de prendre soin de moi. Je n’ai jamais su ce que tu me trouvais, peut-être juste l’attraction des contraires… nous étions si complémentaires. Avec toi, je bravais le monde et toutes mes peurs.
Nous étions alors inséparables ; enfin c’est ce que nous pensions… Peut-être n’était-ce tout simplement pas le bon moment. Je ne crois pas au hasard mais bien aux rendez-vous, aux instants T et au destin.
La vie s’est écoulée, pour toi comme pour moi, avec son lot de bonheurs et de malheurs. Nous nous sommes retrouvés il y a quoi ? Six, sept ans ? Les réseaux sociaux ne sont décidément pas aussi mauvais qu’on veut bien le dire. Depuis nous communiquions de temps à autre…
Et puis je ne sais ce qu’il s’est passé, ni quoi, ni comment, ni pourquoi… ni même quand… mais nous sommes là aujourd’hui à nous regarder comme au tout début, chacun à un bout du monde, séparés par des milliers de kilomètres, à nous redécouvrir, à nous réapprendre, à nous espérer.
De nouveau je me sens forte et capable d’affronter mes peurs. Je ne veux plus être raisonnable, je l’ai été bien trop longtemps, à en perdre mes rêves et puis mes illusions. J’ai l’impression d’avoir dormi et que tu m’offres une deuxième vie.
Il me vient des idées de voyages, de découvertes et de folies que je n’avais pas avant, qui n’avaient même jamais effleuré mon esprit. Des besoins d’ailleurs, de plage, de mer, de soleil et de vagues. Tu me donnes envie de goûter au monde, d’arrêter de rêver ma vie et de vivre enfin mes rêves. À bien y réfléchir, je crois même que je pourrais te suivre sous l’eau si tu me tenais la main.
Je sais que tu es aussi fou que moi, que nous pouvons partager cette folie commune, les passions qui nous animent et nous nourrir de nos différences. Sous des dehors de mer étale, je suis un volcan englouti, un courant sous la surface, une putain de tempête. Toi le playboy, l’éternel coureur, moi la romantique en manque d’amour qui ne rêve que d’une chose : te faire découvrir le vrai, l’unique, celui qui est tout et dont on ne se remet pas.
Toi, l’amant de la mer, qui ne peux t’en passer, sache que ma peau est salée, que mon ventre, quand il est parcouru par les vagues, est un havre où il fait bon s’abriter. Qu’au moment de mélanger nos couleurs, contrastes là encore, ta peau si bronzée, la mienne si pâle, nous nous complèterons.
Prends-moi par la main, montre-moi le chemin de la vie et la beauté du monde, je t’apprendrai ceux de l’amour…
***
Je me réveille à l’aube, en sueur d’avoir rêvé de toi. La place à mes côtés est vide et froide. Tout d’abord déstabilisée, je reprends conscience et me souviens que tu es loin de moi.
Sais-tu à quel point tu me manques ? À quel point j’ai mal parfois de ton absence ? Combien ta voix, ton sourire et tes yeux me font défaut ? Et cela même si nous sommes en lien constamment, si nous nous racontons en permanence.
Quatre mois que nous nous tournons autour… Autant à devoir nous attendre encore avant de pouvoir exaucer nos désirs, assouvir nos envies… Rassasier nos yeux, nos mains et nos corps l’un de l’autre… Souffler des promesses dans le noir, atteindre les étoiles pour les raviver.
Quelques mots ont coulé directement de mon cœur à mes doigts. Mes doigts qui rêvent de te toucher, de suivre tes contours, de dessiner tes tatouages, d’allumer le feu sur ta peau.
De résistance je n’en ai plus aucune. Tu es comme un virus qui a pris possession de ma tête, de mon cœur et de mon âme et je me laisse emporter par la fièvre que cela me procure avec la seule envie de m’y abandonner tout entière.
Je t’ai retrouvé, tu n’as jamais cessé d’être là, présent depuis toujours, disparu mais resté dans l’ombre, attendant le bon moment pour reparaître.
Et comme une évidence, de premier devenir le dernier.
***
Cette nuit j’ai encore rêvé de toi, mon amoureux du bout du monde. 
Pour moi, tout est bleu chez toi et chaque nuance de bleu m’évoque ton image. 
Bleu du ciel… Bleu de la mer… Bleu de tes yeux…
Malgré la distance, ou peut-être à cause d’elle, au-delà des kilomètres qui nous séparent, tes yeux se rappellent à moi, me poursuivent, me fascinent et m’obsèdent. Ils alimentent mes rêves les plus fous, me plongent dans un état d’euphorie et d’excitation presque palpables pour ceux qui m’entourent.
Qu’y a-t-il de plus beau que le désir ? Et l’attente, qui donne tellement de valeur, de saveur et de couleur aux rencontres et aux retrouvailles est, elle aussi, une expérience intense et sublime.
L’attente… Ces moments où toutes les pensées, les envies, ne sont dirigées que vers la même personne.  Où chaque minute qui s’écoule paraît une heure quand on rêve d’un mot, d’un sourire, d’un message… Et où la déception s’évapore en une seconde quand le signe espéré apparaît enfin.
Et puis, quand l’attente s’achève, que les êtres se trouvent ou se retrouvent, que l’alchimie opère, le désir prend corps et les moments deviennent magiques. Ces moments où toute la peau est émerisée et électrique, où le cerveau et le cœur appellent l’être aimé de tous leurs sens dans un tourbillon de phéromones. Quand les pensées s’affolent, que la chaleur devient feu, gagne les reins et embrase tout le corps, que la sensualité transpire par tous les pores, que les mains, les yeux et les bouches se cherchent, se trouvent et s’éprouvent. Quand rien ne sépare plus les peaux que quelques vêtements, au point qu’on n’a plus qu’une envie : les arracher.
Le désir… Quand il me heurte de toute son impétueuse puissance, que ton souffle se fait court, à l’instant où tu passes la limite, que ton désir devient douloureux et impérieux et que tes gestes se font moins doux, plus forts, plus déterminés et plus pressants, là je me sens femme, au sens premier du terme, et dans toute l’acceptation, mais plus encore l’acception de son double sens : faiblesse et pouvoir…
Et quand enfin les peaux se rencontrent, sont parcourues par des milliers d’étincelles qui explosent les unes après les autres en une myriade de sensations, que le sang bat plus fort à l’aine que dans le cœur, que les doigts et les lèvres laissent une brûlure intense sur leur parcours, on sent comme une espèce de magie dans l’air, qui fait que rien n’est plus important ni plus urgent qu’accomplir cette union, réaliser enfin ce miracle de l’alchimie qu’est la rencontre charnelle de deux êtres si différents mais si complémentaires.
Non, il n’y a rien de plus beau ni de plus fort que le désir et l’attente qui l’exacerbe. Peut-être est-ce pour cela que je demeure une incorrigible rêveuse…
Je rêve en bleu, du bleu du ciel et de la mer, de plonger enfin mon regard dans le bleu de tes yeux.
***
La table est dressée : jolie nappe argentée, service moderne, verres en cristal. Le repas est presque prêt, avec tout ce que tu aimes : un whisky hors d’âge, deux petites boîtes de caviar, des coquilles Saint-Jacques qui ne demandent plus qu’à être poêlées, un dessert glacé à la framboise et l’une de mes spécialités pâtissières, des cannelés bordelais réalisés le matin même.
Tout est prêt et t’attend, y compris moi.
Je suis coiffée, maquillée et habillée pour l‘occasion. Je ne cesse de trembler. Mon cœur a menacé d’exploser tout au long de la journée.
Ton avion a atterri la veille à Paris, tu as rallié la résidence de ta mère où tu as passé la nuit. Ce soir de réveillon du Nouvel An est le grand soir, celui où nous allons nous retrouver après huit mois d’espoir, après cinquante ans d’attente, après une vie entière…
Mes yeux effleurent la guirlande scintillante du sapin, puis les cadeaux couchés à son pied. Eux aussi t’attendent.
Mais tu n’es pas là. Tu n’es pas venu.
Ce n’était qu’un rêve…
 
Sophie RUAUD
14/09/2021