Une douleur de plus en plus vive s’immisça sous mes paupières. Par instinct j’ouvris les yeux afin de faire disparaître la gêne. Je ressentis viscéralement un danger en me découvrant assise, les poignets attachés à l’arrière du dossier d’une chaise. Ces liens me meurtrissaient la peau et quelques gouttes de sang perlaient sur mes mains. Affolée, j’essayai de me libérer en tirant mes bras dans tous les sens, et de toutes mes forces. Je ne réussis qu’à me blesser davantage. J’optai pour une tactique différente: Je balançai mon corps de droite à gauche avec frénésie, dans l’espoir de tomber. Le siège ne bougea pas d’un centimètre ; il était solidement rivé au sol. J’étais désespérée, mon angoisse galopait, et je commençai à penser que j’avais été enlevée. Je malmenai ma mémoire, mais aucun souvenir ne refaisait surface. Impossible de me concentrer, de réfléchir. Il fallait pourtant que je appréhende ma situation. Faute de pouvoir me libérer, j’entrepris de découvrir le lieu dans lequel j’étais captive. Autour de moi, dans la pénombre, je distinguai des murs blancs capitonnés s’opposant à un sol noir carrelé. Je ne distinguai aucune ouverture, ni meubles. Levant la tête, j’aperçus au plafond un énorme globe en verre, éteint. Il régnait dans la pièce une faible luminosité, dont je ne parvenais pas à trouver la source. Un ronronnement permanent de moteur électrique me parvenait aux oreilles, sans en découvrir l’origine. Une climatisation ? J’essayai de détecter les sensations de froid sur mon corps. La température ambiante était au contraire, relativement étouffante. Ma respiration d’ailleurs, devenait plus difficile.  Un grésillement suivit d’un sifflement strident retentirent. Le bruit me vrillait les tympans; je mis mes mains sur mes oreilles pour me protéger mais en vain. Mon corps se crispait.et je me recroquevillai sur moi même. Soudain, la pièce fût illuminée avec une incroyable intensité. En levant la tête je remarquai le globe de verre allumé. Ses rayons dardaient la pièce d’une lumière si vive qu’elle me brûlait la peau et les yeux. Je découvris un œil gigantesque braqué sur moi.  J’avais beau secouer la tête comme une forcenée, les rayons percutaient avec violence mes rétines et se frayaient un chemin vers mon cerveau. Mes douleurs étaient insupportables. Mon stress était à son paroxysme. Un cri de bête remonta du plus profond de mes entrailles. Je me débattis sur cette satanée chaise la malmenant avec rage, donnant des coups de talons à l’aveugle. Un pied se brisa enfin et je fus projetée au sol avec fracas. Continuant mes contorsions, j’arrivai peu à peu à distendre les liens. Lorsque mon premier bras fut libéré, des larmes coulèrent sur mes joues. Je fis descendre les attaches du second poignet aussi vite que je pus et me relevai. Je fis le tour de la pièce en courant sans rien remarquer. Calme-toi, réfléchis, cherche une solution ! Pensai-je. Je décidai de commencer une inspection méticuleuse des murs et du sol. Je fis plusieurs fois le tour de la pièce les mains effleurant les murs et du sol à la recherche d’un creux ou d’un excroissance. Je ne trouvai rien et fus prise d’un violent désespoir. Mon corps fut parcouru de spasmes incontrôlables. J’entendis mon souffle saccadé et les battements précipités de mon cœur qui résonnaient. Folle de rage, je me projetai contre une des parois. La force de l’impact fut telle, qu’une douleur incommensurable à l’épaule me fis perdre connaissance en m’effondrant.  Mon coude cogna une paroi provoquant une légère décharge électrique remontant le long du bras. Je me réveillai en sursaut, hagarde. J’ouvris péniblement les yeux. Je ne perçus plus de lumière ni de bruit. L’œil géant avait disparu, les murs capitonnés également. La pièce dans laquelle j’émergeai de mon malaise, se résumait à une sorte de cabine à la lumière tamisée. J’étais confortablement allongée dans une couchette. Je me rappelai ma perte de connaissance et fus prise d’un doute. Avais-je fait un rêve ? Un maudit rêve ? Ce n’était pas envisageable autrement ! En partie soulagée, je me mis à rire nerveusement. Une fois calmée, je regardai autour de moi. Je n’étais pas attachée, je ne souffrais plus. Mes marques aux poignets avaient disparues. La cabine avait des allures de capsule spatiale. Elle était faite en plastique blanc et en plexiglas. Son espace restreint ne permettait la place que de la couchette. De petites veilleuses procuraient une douce lueur. Rassurée, je me levai doucement et me dirigeai vers ce qui ressemblait à une porte. Le bouton lumineux à côté devait être le système d’ouverture. J’appuyais délicatement dessus. Dans un chuintement, la porte de la cabine coulissa. Je penchai la tête au dehors et découvris un long couloir. Au fond s’élevait une énorme porte éclairée par un panneau lumineux. Ce dernier affichait des idéogrammes asiatiques. Des cabines semblables à la mienne étaient réparties, de part et d’autre. J’en dénombrai une trentaine. Tout était calme. Un souvenir se fraya un chemin à travers ma mémoire altérée. J’avais vu il y a peu, à la télévision, un reportage sur les Hôtels Capsule de Tokyo. Le décor qui m’entourait correspondait, l’écriture sur le panneau aussi. J’étais au Japon ? Comment était-ce possible ? Comment pouvais-je ne pas me souvenir avoir voyagé ? Je chassai rapidement ces idées. Il fallait que je trouve une réponse rationnelle. J’avançai avec discrétion dans le couloir, écoutant les bruits de fond. Je ne repérai pas de ronflements ni de respirations qui indiquerait la présence de dormeurs. J’étais seule. Pour m’en assurer, je me dirigeai vers la cabine la plus proche. Je repérai le système d’ouverture et l’actionnai. Le panneau coulissa. Mes yeux habitués à la pénombre repérèrent le lit et la forme étendue dessus. Je découvris avec horreur ce qui gisait. Un hurlement d’effroi m’échappa. Mon corps tremblait sous l’effet de la stupeur. Une momie de femme reposait sur la couchette, son visage parcheminé semblait intact, sans marque de blessures ni de souffrance. Je me forçai à me calmer pour examiner l’intérieur des autres cabines. Frénétiquement je les ouvris toutes et dans chacune d’elles je découvris une momie. Tous les âges et les sexes étaient représentés, sauf les enfants. Prise de nausées, je m’appuyai contre une des parois. Que signifiait ces monstruosités ? Qu’avaient-elles subi?  Dans un sursaut, j’estimai que j’étais la victime d’un canular, ou d’un bizutage ? J’avais intégré la première année de l’école d’Ingénieurs en octobre. Malheureusement ces pratiques idiotes étaient encore courantes. J’avais sans doute été droguée et traînée dans un décor de cinéma. Ça ne pouvait-être que ça ! Me rassurai-je !  Je repensai à mon précédent rêve. Ma captivité dans cette salle capitonnée devait avoir pour objectif de faire peur. Les harceleurs pouvaient ainsi voir les réactions des petits nouveaux, et se moquer d’eux durant l’année étudiante. Je me sentis soudain ridicule de ne pas avoir gardé mon sang froid. Les deuxièmes et troisièmes années devaient être pliées de rire derrière leurs écrans. La vidéo allait tourner en boucle sur les réseaux. Je serai la risée de l’école. Déterminée à prouver qui j’étais, j’allais examiner ces fichues momies et démontrer qu’il s’agissait de mannequins. Je m’avançai avec appréhension vers le premier corps. Une odeur putride s’en dégageait ainsi qu’une fragrance particulière, comme de l’encens. Malgré ma détermination, mes jambes flageolaient. J’avançai timidement ma main vers le visage d’un homme. La peau tannée épousait les os saillants des pommettes. En effleurant les joues de l’homme, je ne reconnus pas la texture de la peau humaine. Cependant, la matière sous mes doigts n’était pas du latex, ni de la mousse expansée, ni même du plastique. Les cheveux, paraissaient humains. Je devais poursuivre mon examen et lui enlever ses vêtements. Je déboutonnais dégoûtée la veste puis la chemise de l’homme. Je découvris une importante incision en forme de Y, partant du cou, jusqu’au nombril. Elle était recousue à grand points irréguliers. Je reconnus les stigmates d’une autopsie, mes doutes s’éclipsèrent. J’étais face à des corps humains. Ma raison m’échappait. Persuadée dans un premier temps d’avoir fait un mauvais rêve, puis d’être victime d’un bizutage je n’arrivais plus à entrevoir une explication plausible à l’horreur de ma situation. J’examinai avec soin tous les corps pour me convaincre que le premier n’était qu’une exception, je dus me résoudre que mes conclusions étaient les bonnes.  Je glissai à genoux sur le sol du couloir et fut prise de sanglots et de hoquets irrépressibles. Une colère profonde, accentuée par la peur me faisait perdre mes moyens. Je me recroquevillai sur la moquette du couloir, ne retenant plus mes cris et mes pleurs.  Je m’essuyai d’un revers de manche, le visage remplit de morve et de larmes. Calmée, je me relevai et pris la décision de sortir au plus vite de cet hôtel pour chercher de l’aide. Je poussai violemment la porte du couloir et découvris l’entrée de deux souterrains. Des néons crachotaient leur faible luminosité. Des tuyaux enchevêtrés couraient le long des parois. Aucune indication ne me permettait de choisir quelle direction prendre. Sans perdre de temps, je m’engageai dans le souterrain de gauche. J’avançai à un rythme soutenu avec la peur au ventre. Qu’allai-je encore découvrir ? Je marchai longtemps dans ce sous-sol, avant de trouver une porte. Un simple panneau de bois se dressait devant moi. J’abaissai la clenche et pénétrai dans une immense pièce dans le noir. J’étais tellement stressée que le sang affluait avec force dans mes tympans, provoquant douleurs et vertiges. Je me retins de tomber en me calant contre le mur de la pièce. Où étais-je ? Je tendis l’oreille : aucune respiration, aucun bruit ne me parvenaient. Je fis le tour de la pièce mes mains parcourant le mur à la recherche d’un interrupteur. Je remarquai que les murs étaient lisses et incurvés, la pièce devait être ronde. Je ne trouvai ni porte, ni lumière, mon souffle s’accéléra. Il fallait que je sorte de là ! J’enrageai ! Je poursuivis mes recherches et butai soudain contre une paroi devant moi. J’en fis le tour à l’aveugle et entrai dans un petit réduit de quelques mètres carrés. Une sensation étrange me saisit. La peur resurgit de mon cerveau reptilien comme une tornade et tortura le fond de mes entrailles. Mon pouls était tellement rapide, que je sentais mon sang parcourir mes vaisseaux à vitesse grand V. Mon souffle devint court, et des sueurs froides coulaient le long de mon dos. J’avançai les bras tendus devant moi. L’espace était tellement réduit que je me cognai aux murs. J’entendis soudain, un rire affreux résonner au loin. Je tombai à genoux, me relevai et tombai encore, écorchée et douloureuse. Je crus sentir un souffle chaud sur ma nuque et me retournai sans rien distinguer. Le rire semblait plus proche. Mon cœur faisait des looping sous mes côtes et mes larmes me brûlaient les yeux. Je refis quelques pas dans l’obscurité et mon pied fut pris dans un étau. Les énormes dents acérées d’un piège à loup venaient de broyer les os de ma cheville, en se refermant. Je ne pus réprimer un hurlement de douleur et de rage. Le rire démoniaque m’accompagna. Ma cheville saignait abondamment, je sentis les gouttes couler le long de mon pied. La douleur était insupportable et je fus prise de vomissements. Je perçus un bourdonnement sourd, puis ce bruit de moteur électrique. Je n’eus pas le temps de réagir qu’une lumière aveuglante me cloua sur place : L’œil géant était réapparu. Son intensité grandissait et une brûlure intense parcourait ma peau. Je sentis mon derme s’assécher, se racornir sous l’effet des rayons. Je me démangeai avec force, provoquant d’affreuses plaies sanguinolentes. Ma peau rétrécissait sur moi épousant mes os et provoquait une souffrance atroce. Le rire de hyène résonna près de mon oreille.  - Alors petite fille, on s’amuse? Tu aimes ma boîte à rêves ? Quel décor ! Non ? Dit une voix rauque. L’homme partit d’un rire de dément.  - Mes chères momies s’ennuient, tu vas les rejoindre, mais pas tout de suite, non, tu vas devoir encore souffrir quelques heures, le temps de sécher ! Que c’est hilarant, tu ne trouves pas ? Tu seras ma trente-troisième momie. Quelle collection ! Dit l’odieuse voix.  Dans un dernier effort je regardai mes bras : des cloques apparaissaient, crevant l’une après l’autre, laissant ma peau tannée. Je fermai les yeux dans un soupir, pour oublier cette douleur, ce rire démentiel et laisser mon esprit partir loin de ce mauvais rêve.