« Tic, tac, tic, tac... »
Lorsque Laure était allongée sur son lit durant la journée, elle ne se lassait pas d'écouter ce son. Il provenait de son maneki-neko trônant sur le bureau de sa chambre. Ce dernier fonctionnait à l'énergie solaire ; son bras gauche s'agitait dès qu'un rayon de lumière traversait la pièce. Autrement dit du matin jusqu'au soir, lorsque les volets n'étaient pas baissés. Le bruit que cet objet provoquait, pouvait faire penser aux battements d'un cœur, le propre cœur de la jeune femme. « Je ne suis qu'une machine » se disait-elle.
Aujourd'hui est le premier jour de travail de Laure, qui est contente d'intégrer la société qu'elle convoitait depuis toute petite. Certes la jeune femme regrette un petit peu ses journées à se prélasser dans sa chambre. Cependant elle sait qu'un jour ou l'autre il faut bosser pour gagner sa vie et obtenir son indépendance, non mais !
Quant à sa fébrilité pour son premier jour d'embauche, elle tente de la gérer et de ne pas commettre trop d'impairs. Comme par exemple lorsque son patron relève les absents, et qu'elle a failli ne pas se signaler :
« -Loget, Laure ?
-...
-Laure Loget n'est donc pas présente ?
-Si, si, excusez-moi ! Mon esprit était ailleurs !
-Ne commettez pas d'autres erreurs sinon c'est la porte assurée ! Compris ?
-Compris !
-Bien ! »
Le restant de la première journée d'embauche s'est déroulé sans anicroche et elle n'a pas vu le temps passer. C'est donc tout naturellement qu'elle remarque que la lumière artificielle de l'entreprise s'est éteinte, la laissant seule dans l'obscurité.
« -Ah mince ! J'étais 'presque' tellement obnubilée par mon boulot que j'ai zappé l'heure de fermeture... »
Laure a prononcé l'adverbe 'presque', car bien qu'elle était relayée à l'entretien des 'véhicules', elle a observé ses collègues. Elle les a aussi questionné de temps à autre sur le fonctionnement de ces fameuses 'voitures'.
« -C'est juste pour savoir, comme ça...répondait-elle évasivement. »
Mais maintenant la jeune femme se retrouve isolée dans le noir. C'est d'abord la peur qui la saisit quelques secondes ; avant de laisser place à une idée fulgurante et un sentiment d'excitation : et si elle se permettait d'employer une machine à voyager dans le temps ? Même si elle n'est pas attelée à la tâche de conductrice... Et même malgré les recommandations de son directeur de ne pas tenter de voyager seule et de se cantonner à son rôle... Qu'est-ce qui pourrait l'empêcher de passer le cap, désormais ? Rien, ni personne... D'autant plus que les avis des clients qui souhaitaient modifier un pan de leur histoire sont principalement positifs, pourquoi ne pas en profiter ? « C'est décidé, je saute le pas ! » déclare-t-elle.
Suite à sa montée d'adrénaline, Laure monte dans le premier véhicule à sa portée. Elle souffle un bon coup pour se maîtriser et réfléchit à l'espace-temps qu'elle souhaite rectifier. Elle n'est pas longue à se décider et ni une ni deux appuie sur divers boutons avant d'embrayer le levier de vitesse. Elle a à peine le temps de dire « C'est parti ! » que la voiture de la jeune femme est happée par un trou du temps.
Son premier arrêt s'effectue quelques mois après son entrée à l'université pour sa part. En effet elle a passé le bac haut la main, comme son ancienne amie du lycée. Celle-ci avait pour but de faire des études afin de devenir médecin, alors que Laure comptait faire un BTS dans le domaine de l'automobile. Malgré tout elles sont restées en contact.
C'est à cette période que la voiture s'arrête donc dans la cour de son ancien établissement. Comme la machine et Laure sont invisibles, cela ne gêne personne car personne ne les remarque. Vite fait bien fait, la jeune femme tente de rejoindre son 'moi' de l'époque dans l'amphithéâtre. Une fois repérée, le 'moi' actuel se glisse à sa hauteur avant qu'elle n'envoie un SMS et lui souffle ces quelques mots : « A ta place, je ne lui dirais pas ça, c'est trop tôt ! De plus elle va trouver chaussure à son pied ! » Son 'moi' du passé regarde à gauche et à droite d'où vient cette phrase, mais ne remarque rien. Du coup elle secoue la tête et suivant ce qu'elle a entendu, n'expédie pas le message. Son 'moi' du présent se félicite et satisfaite de son action, repart dans la machine à voyager dans le temps. « Maintenant, direction huit ans avant mon époque ! »affirme-t-elle. Et le véhicule repart de plus belle dans un nouveau gouffre temporel.
La voilà désormais huit années en arrière. La voiture s'arrête juste devant son 'moi' de l'époque, qui est concentrée encore une fois dans l'élaboration d'un SMS. La jeune femme a juste le temps de sauter de l'appareil et d'arriver près d'elle-même pour lui susurrer cette expression :
« Ne lui envoie pas cela, tu risques de la blesser profondément, et de la perdre définitivement ! Je sais que c'est une période sombre pour toi, mais accroche-toi à la vie ! »
Comme la dernière fois, son 'moi' de l'époque scrute aux alentours pour savoir d'où viennent ces mots, mais ne constate rien. Elle efface donc son message et rentre chez ses parents.
De retour dans la machine à voyager dans le temps, Laure commence à ressentir les effets positifs de ces modifications de son passé : tout d'abord, d'avoir refréné ses sentiments au premier changement pour les laisser s'épanouir jusqu'à présent, et ensuite d'avoir empêché une rupture amicale définitive au second changement, pour remplir son esprit de nouveaux souvenirs partagés.
Une fois revenue dans le présent, Laure reçoit un SMS de son amie :
« Voilà, j'ai rompu avec lui, ça ne collait plus entre nous... »
Quelle n'est pas la satisfaction de la jeune femme quant à la lecture du message sur la rupture de ces deux personnes ! Elle saute donc sur l'occasion et lui envoie un SMS :
« Je suis désolée pour toi, mais j'ai quelque chose à t'avouer... »
« Qu'est-ce que c'est ? » répond-elle.
« Cela fait depuis longtemps, ou plutôt depuis nos entrées en études supérieures respectives, que j'éprouve des sentiments à ton égard... »
« Ah... Je suis sincèrement désolée, mais ça ne va pas être possible entre nous deux... »
« Pourquoi ? »
« Parce que tu es une machine, certes qui a évolué physiquement et mentalement parlant, mais une femme androïde tout de même... »
A ce moment précis, un déclic se fait dans l'esprit de Laure. Elle a tout modifié dans son passé pour arriver à ce résultat ? Elle aurait dû s'en douter, que ça ne marcherait jamais entre elles... Le fameux déclic se propage même jusqu'à son cœur, qui se dérègle et tombe en pièces.
« Tic,tac, tic, tac... » fait encore et toujours le maneki-neko...