Le temps remontait en arrière,  j'en avais maintenant la certitude. Il y a deux jours j'avais encore quelques doutes mais là c'était évident. Je ne pouvais comprendre pourquoi ni comment cela m'arrivait mais je venais d'entamer un voyage dans le sens inverse sur l'échelle du temps. Puis je me rappelai avoir fêté mes quarante ans et d'avoir fait le vœu de vouloir remonter le temps. C'est alors que mon vœu s'était réalisé ! Mais quelle mauvaise idée, quelle stupidité. Une sorte d'angoisse me serra la poitrine. Était-ce définitif ? Je peinais à réfléchir mais je devais me ressaisir pour me tirer de cette situation. Est-ce que je devais vraiment me tirer de cette situation ? 

Quand mes amis sont partis après mon anniversaire, le livreur avait sonné chez moi. Le même livreur que j'avais reçu en matinée. Je lui ai rappelé qu'il m'avait déjà remis mon colis mais je ne figurais pas dans l'historique de ses clients ce jour. Malgré ma surprise, j'ai pensé à un cadeau d'anniversaire surprise dont je n'étais pas au courant. J'ai de nouveau signé un bon de livraison et récupéré le paquet qui m'était destiné. En ouvrant le paquet, je découvris les douze tomes de mon roman préféré, me retrouvant ainsi avec deux exemplaires de celui-ci. Je composai le numéro de mes parents et tombai sur leur messagerie. Le résultat fut le même en appelant sur leurs téléphones portables mais sans surprise. Depuis mon adolescence mes parents allaient au cinéma tous les samedi soirs. Je laissai le deuxième colis dans un coin du couloir sans prendre la peine d'en ranger le contenu. Alors je rangeai le salon et allai me coucher en décidant de rappeler mes parents le lendemain. 

Le lendemain au réveil, j'allumai la télé comme tous les matins pour regarder l'actualité sur une chaîne d'informations internationale. Je me lavai le visage et mis la cafetière en marche. Quand je retournai vers la télé, mon attention fut captée par la date du jour s'affichant dans un coin de l'écran. La date était celle de la veille de mon anniversaire. Je réfléchis et me demandai si j'étais encore en train de rêver. Le deuxième colis de la veille me revint à l'esprit. Je sortis mon ordinateur portable et consultai mon agenda en ligne. La date était la même qu'à la télé et une notification me rappelait qu'il restait un jour avant mon anniversaire. Je sentis une montée d'angoisse et appelai mes parents dans l'espoir d'un contact avec le monde réel. Ma mère décrocha.

' Allô. Maman ? '

' Bonjour mon cœur. Ça va ? '

' Mouais… ça va et toi? Et papa ?'

' Oui ça va. Tu appelles tôt ce matin, tout va bien ?'

' Oui tout va bien maman. Ça été le cinéma hier ?'

' Mais non voyons. Tu sais bien qu'on y va le samedi d'habitude.'

' Ah oui, c'est vrai maman. Bon je te laisse. Bisou.'

' Bisou mon cœur.'

Ainsi mes parents et moi-même n'avions plus la même réalité. En fait, j'avais vécu des événements qui appartenaient au futur pour eux. Je réalisai aussi que n'étant pas dimanche comme prévu dans le monde des choses normales, je devais me rendre au travail. Punaise alors !

Je passai une journée de travail classique à la seule différence que j'avais déjà vécu ces événements deux jours plus tôt. Alors je décidai de faire preuve de créativité et d'imagination dans ma routine de travail pour rendre les choses moins ennuyeuses. A la fin de la journée, je refusai la proposition de sortir boire un verre et rentrai chez moi en souhaitant un bon week-end à mes collègues. La question qui occupait mon esprit concernait le lendemain. Allais-je avancer ou reculer dans le temps ? A ce stade, il convient de préciser que je n'ai jamais mis les pieds chez un psychiatre et que je n'ai aucun trouble (apparent et diagnostiqué) du comportement. 

Le soir dans le lit, je ne réussis pas à trouver le sommeil. J'attendis minuit en laissant la télé allumée pour voir si la date allait avancer ou reculer. Le verdict tomba et la date recula encore. Je devais me rendre au travail le matin bien que j'avais souhaité un agréable week-end à mes collègues. 

La semaine continua et je pris l'habitude de reculer au fils des jours. Les jours vécus s'effacaient un par un. Tout ce que je faisais n'avait plus de sens car il n'y avait plus de lendemain ni de conséquences. Puis les semaines et les mois s'enchaînèrent sans le souci ou l'excitation de préparer l'avenir; il n'y avait plus d'avenir. Mon propre vœu était devenu la pire des malédictions que je devais vivre dans la solitude. Environ six mois plus tard, n'en pouvant plus j'arrêtai d'aller au travail. Dans une vie sans lendemain, cela n'avait pas d'importance. Je décidai alors de vivre dans le présent. Il n'y avait pas de demain mais le jour d'aujourd'hui était bel et bien là.

Je repris les balades dans la forêt puis je me mis à faire du vélo. Je me rappelai que le cyclisme était ma passion et que j'avais arrêté du jour au lendemain. Je voyais mes parents régulièrement puis de moins en moins. Notre rapport avec le temps n'étant plus le même, nous n'étions plus sur la même longueur d'onde. Un jour je faisais du vélo dans la grande forêt près de chez moi jouxtant un cimetière. Pour changer de mon chemin habituel, je décidai d'aller dans le cimetière. En pleine semaine le calme était total dans ce lieu sauf pour un couple se recueillant sur une tombe en marbre entourée de coquelicots. J'avançai en direction du couple qui me tournait le dos et allai me mettre de l'autre côté de la tombe sur laquelle il se recueillait. A ma grande surprise, je vis mes parents qui m'ignorèrent complètement. Puis je regardai la pierre tombale et découvris mon nom et ma date de naissance dessus. J'avais quitté les miens dix ans plus tôt. Alors je compris pourquoi le temps m'échappait; mon retour au cimetière avait remis en place l'échelle du temps et je l'avais retrouvé comme avant, cette fois pour l'éternité.