Putain de voyages temporels ! T’es là, le nez dans ta binouze en train de te dire “mais qu’est-ce qui dit le vioc il a débloqué”. Non je te jure j’ai pas pêté un câble, ça existe le voyage dans le temps, mais vous les mioches vous y connaissez plus rien. J’suis un ancien de la 3ème guerre, la 3ème comme on dit nous les vieux. Tu sais, c’est pas comme tous ces films pourris comme Terminator ou retour vers le futur, putain voyager dans le temps c’est tout sauf fun, tu peux crever tout le temps c’est chiant. J’ai fait partie des premiers à rentrer dans le CRET. J’te vois me regarder avec des yeux de poisson pourri et j’comprends qu’tu saches pas c’que c’est le CRET. C’est Centre de Recherche d’Exploration dans le Temps. Ouep mon gars, rien d’énigmatique dans le nom de l’entreprise, on fait pas genre on est une société secrète et j’appelle pas mon chef par un nom secret genre “le patron” ou “mon employé”, non mon gars ça c’est des conneries. Le mec il s’appelle Serge Blancard, et tu peux trouver son profil sur LinkedIn, mais c’est juste que tout le monde s’en branle. Depuis que les gens crèvent la dalle ils ont autre chose à foutre que de s’occuper d’nous.  
Tu captes un peu ? Alors ouais, il a fait j’sais pas trop quoi avec des ions, des neutrons, des merdes atomiques auxquelles j’y capte que tchi et bim ça a fait des chocapics. Ben non mon con, faut arrêter regarder les pubs des années 2000, ça a fait le voyage tempo. Il a commencé avec des rats, mais le problème c’est qu’il pouvait faire que des allers. C’qui faisait qu’il envoyait les souris que quelques minutes plus tôt et à chaque fois elle cramait d’la caboche. J’te dis pas le nombre qu’il en cramé avant de capter pourquoi. Il a fini par envoyer l’une d’elle, deux minutes avant, mais dans une salle à côté où la souris elle était jamais allée et là, découverte miraculeuse, la souris elle avait rien. Le Serge il est venu m’voir, j’faisais l’assistant, j’étais encore plus vert que toi c’est pour dire comme ça remonte loin. Du coup qu’est-ce que j’disais, ouep il est venu m’voir et là il m’a expliqué le bousin, et putain qu’est-ce qu’on s’est pris la tête sur ça. On a fini par capter qu’la souris dès qu’elle voyait un truc qu’elle connaissait, ça déconnait dans sa tronche et ça f’sait clamser ses neurones. C’est c’que j’pensais et j’ai eu raison. Le Serge il était content d’moi, que j’étais un bon assistant. En vrai il m’avait surtout embauché parce que j’étais gratos, les autres ils lui avaient demandé plein d’trucs et moi rien. J’m’en foutais, j’voulais juste m’occuper et puis faut dire qu’j’étais pas une lumière alors j’pouvais pas espérer mieux.  
Le Serge il a amélioré sa machine. Bon ça f’sait toujours la taille d’un loft son truc, mais il avait créé une balise qui permettait de faire le voyage retour. Alors on s’est faufilé une nuit dans un zoo, on a choppé 3 singes, et on les a balancés dans le temps: Aller-Retour. Les singes ils ont survécus, mais j’te dis pas dans quel état ils étaient en rev’nant. Le premier super agressif, genre entrainé par Mike Tyson le type. J’ai dû boxer avec le singe pour le calmer, première fois que j’boxais un singe. Le deuxième il hurlait à la mort, et le dernier il a perdu ses poils. Pour nous, ça semblait des tests concluants. On s’est dit qu’c’était bon, qu’on maitrisait le truc, alors on pouvait tester sur des humains. Le Serge il m’a regardé, mais j’lui ai dit que j’servirais pas de cobaye pour son engin torture. Fallait trouver des mecs qui servaient à rien dans la société, et c’est là qu’on s’est dit “putain les hostos”. 
T’écoute toujours ? Allez vu qu’t’as fini ta bière j’te offre un petit whisky, c’est offert par la maison. J'te raconte la suite, tu vas voir c’est la partie où on s’marre. 
On a débarqué dans les hôpitaux avec des blouses pourries.  Avec ma cicatrice qui fait la moitié d’ma gueule et mon nez pêté j’ressemblais pas un infirmier. Tu m’diras le Serge avec ses crocs et son pantacourt militaire, pas plus. On chercher des mecs qui avaient pas d’famille et dont tout le monde s’en foutait. Franchement, depuis qu’on a explosé la couche d’ozone à coups d’bombes, les hostos ils sont remplis de glands qui attendent que d’crever. Un vrai mouroir le truc, y’en a dans les couloirs, qui clamsent la gueule ouverte et personne pour s’en occuper. Faut dire y’a pas d’personnel, alors quand on leur a dit qu’on leur débarrassait de quelques poids morts, ils ont pas rechignés. Le vrai supermarché d’cobayes.   
On a pris le premier et on a commencé à checker les lieux qu’il connaissait et les époques. J’te dis pas le bordel. Heureusement pour nous y’a plus personne qui fait des vlogs moisis pour montrer les quatre coins du monde, du coup dans l’ensemble les gens y connaissent pas grand-chose. A part quand ils vont dans la cambrousse se “ressourcer” dans la vieille bâtisse de feue mémé, le reste y connaissent pas. J’me souviens le premier on l’a envoyé à Cuba en 1962 et le mec a paniqué. Ouais avec Serge on est pas des fortiches en Histoire géo non plus. J’te dis pas quand le mec est revenu il tremblotait, on aurait dit qu’il avait passé une semaine dans un frigo. On est allés piquer quelques trucs dans un hosto pour essayer de le calmer, mais ça a fait l’inverse et il a passé l’arme à gauche en moins de 48 heures. Le deuxième on a cherché un endroit plus tranquillou, Bali 1992. Lui il a survécu, mais il en a chié. Ben ouais, à Bali il fait chaud, alors que depuis ce putain d’hiver nucléaire il fait moins douze chez nous. J’te dis pas, le choc thermique ça l’a bien dégommé, mais résistant le bougre. Pendant qu’il se soignait on en a balancé un troisième à travers le temps, Russie 1681. Quand on l’a récupéré le mec était à moitié fou, il répétait le mot Kremlin en boucle, on captait pas pourquoi. C’est qu’des mois plus tard que ça a tilté quand on est retournés dans le même hosto. Y’avait un livre dans leur putain de biblio qui parlait de l’histoire du Kremlin et on est tombés sur le seul gland qu’il l’avait lu. Tu captes pas ? J’t’ai dit qu’il fallait rien connaitre de l’endroit où on allait, du coup quand il a vu le Kremlin d’époque, ça a bousillé son cerveau. C’est un pote de Serge qui nous a expliqué ça une fois au resto. Le truc qu’il racontait c’est qu’on s’fait une image mentale de c’qu’on croit connaitre et le cerveau ben il prend ça pour une réalité, mais en fait c’est faux. Du coup l’cerveau il est paumé, il sait plus c’qui était vrai et c’qui était faux. Tu sais, comme quand t’es p’tit et que tu découvres qu’cest tes vieux qui t’filent des cadeaux pas l’père Noël. Ben là, même chose, mais en mille fois pire. Ton cerveau il confond tout et ça t’rend barjot, au mieux, mort dans la plupart des cas.  
Quand on a compris ça, on a fait gaffe avec Serge. On est allés voir des profs et des chercheurs en psycho pour comprendre mieux le cerveau. On faisait des tests à nos cobayes et on a plus eu de problèmes, à part une fois, un p’tit jeune qui a lâché sa balise en Allemagne. On pouvait plus le récupérer le mec, donc il est resté là-bas. Hey ben tu sais quoi le gadjo a survécu un temps. En fait il est mort le jour de sa naissance. Ouep quand sa mère accouchait, le vieux, lui, de l’autre côté d’la frontière ben il crevait. Fallait croire que le choc de la date l’avait tué, comme quand l’autre avait vu le Kremlin. On savait pas trop avec le Serge, parce qu’on avait envoyé des gens une heure, un jour ou un mois avant le présent et y’avait pas eu de problèmes. On faisait juste des tests parce que le truc neurologique, on y connaissait que tchi avec Serge. On a demandé aux suivants les dates importantes qu’ils connaissaient et ceux aussi de leurs vies. Les mariages, les enterrements, la naissance des mioches : A chaque fois qu’c’était une date marquante, ben ça les fusillait. Ça marchait aussi pour les dates historiques qu’ils connaissaient.  Le deuxième truc qu’ça nous a fait comprendre avec notre mec perdu en Allemagne, c’est qu’en survivant il avait changé des événements et ça avait pas fait sauter l’Univers. Ben ouais il s’était marié, il avait eu des gosses et ça avait l’air de passer crème. Avec le Serge, un soir où l’on avait picolé comme des trous, on s’est dit qu’ça s’rait fun si on pouvait éviter la troisième guerre. On imaginait le truc, on envoyait un connard qui connaissait rien de cette guerre et on lui demandait d’envoyer une bastos dans la tête de salaud de dictateur avant qu’il nous emmerde. Fallait trouvé un mec qui savait se servir d’une arme, mais surtout qui v’nait d’se réveiller d’un coma ou qui avait une perte de mémoire. Un mec qui avait le cerveau en gruyère. Avec Serge, on les appelait les “cramés d’la caboche”. Quand on s’est réveillés avec la gueule de bois, on s’est dit qu’c’était pas si con. Alors on a cherché, mais c’était galère parce que des cramés d’la caboche y’en a pas des tonnes. On passait dans les hostos avec des tests. Les médecins et les infirmiers, ils étaient un peu verts qu’on embarque personne et qu’on vide pas un peu les lits.  
On a fini par en trouver deux. Un vieux, ancien militaire avec Parkinson et le cerveau fondu, puis un jeune de vingt ans qui avait subi un choc à la tête, passait plusieurs années dans le coma et parlait comme un enfant de cinq ans. 
Avec le Serge on avait bien tout étudié pour une fois, on savait exactement où les envoyer et ce qu’ils devaient faire. On a commencé par le vieux, on l’a envoyé en haut d’un clocher juste avant le fameux discours de l’autre enfoiré. Quand on l’a récupéré avec la balise, le vieux était mort, il s’était pris une bastos. On est parti direct à la bibliothèque et on a cherchait dans les archives, et ben mon gars on avait raté notre mission, mais on avait changé l’Histoire. Dans les journaux de l’époque, ça racontait la tentative ratée d’un inconnu et les trois discours suivants avaient étés annulés. Quand on parlait de ça avec des gens, personne ne se souvenait de ce discours, alors que putain c’était quand même à ce moment-là qu’il avait dit qu’il fallait “purger le monde”.   Tout ça avait disparu des livres, mais nous avec Serge on s’en rappelait. Tu sais comme quand on parle de l’œil du cyclone, ben là pareil.  
Ça y est t’as fini ton whisky ? Tu as vu il était bon, on en fait plus des comme ça j’te le dis. J’vois q’tu piques un peu du nez, mais t’inquiètes j’ai bientôt fini. 
Après on a envoyé le jeune, six mois plus tard après l’attentat raté du vieux. Le moment où l’autre enfoiré montait les marches pour s’autoproclamer roi. Punaise, j’ai regardé la scène des centaines de fois, tellement on était proches. Notre gars, il avait l’arme pointait sur notre dictateur préféré, prêt à tirer, sauf que quelqu’un dans la foule a appelait notre voyageur du temps par son prénom. Putain comment c’est possible ? Déjà le jeune, était pas si jeune que ça, mais faut croire que le coma ça conserve, et la meuf qui l’a appelé c’était sa daronne, qui allait mourir huit mois plus tard. Comment elle a reconnu son fils avec quinze ans de plus ? Merde, les histoires à la noix à la Superman où on l’reconnait pas avec des lunettes c’est des conneries. Quand il a entendu son nom prononçait par sa mère, son cerveau a fondu.  
On avait perdu nos cramés d’la caboche, et c’était la merde. On avait passé des mois pour en trouver deux, alors on avait la flemme d’en chercher d’autres. Puis on s’est souvenus que pendant la guerre, on avait inventé des drogues pour bien lobotomiser le cerveau et éviter de filer des informations confidentielles, et en vrai c’est pas trop compliqué à avoir comme produit. Tu captes ? Ouais tu commences à capter. T’étais militaire avant ton accident, t’as plus de famille, et t’es pas une lumière, oh non t’es pas une lumière. J’crois qu’t’as même pas capté quel évènement y’avait en 1962 à Cuba, ni qu’j’ai foutu un truc dans ton gobelet. La mémoire ça va ? La troisième guerre mondiale c’est juste des bribes dans ta tête. T’inquiètes, tu vas bientôt plus t’en souvenir du tout, quand le whisky aura fait son effet. Va falloir qu’on s’barre fissa parce que l’vrai patron du bar il va bientôt se réveiller. Allez mon p”tit cramé d’la caboche, y’a l’Serge qui t’attend pour un p’tit voyage dans l’temps.