« L’aube d’une absence », avais-je pensé, vous apercevant dans le demi-deuil de cette terrasse ombreuse. C’était curieux cette forme de vous que vous adressiez au monde. Jamais, dans ma vie semée d’aventures, je n’avais vu pareille esquisse si proche de la disparition. La lumière n’était nullement lumière mais traînée fuligineuse, sans doute semblable à ces « Ames mortes », à cette sombre représentation de l’enfer existentiel décrit par Gogol. Etiez-vous réellement en enfer ? Pour quel péché, quelle faute que vous ne sembliez pouvoir expier ? Mon âme romantique eut tôt fait de dresser à votre intention une haute dramaturgie. Vous ne pouviez être qu’en proie au doute, au questionnement sans fin, peut-être abandonnée par votre Amant, manière de feuille morte bousculée par le vent.
 
   C’était surtout votre immobilité qui m’atteignait, comme si l’espace soudain étréci vous avait enveloppée dans une étroite tunique, une camisole pour tout dire, votre destin paraissant figé dans une manifeste impossibilité de vous affranchir de sa pesante diction. Tout autour de vous, rien ne pouvait figurer que le vide. Je pensais alors, d’une manière métaphorique, à ces taches d’huile irisées qui chassent au loin tout liquide, toute eau voulant s’inscrire dans leur mystérieux domaine. Aussi, à l’image de deux aimants de pôles identiques qui créent un irrépressible champ de répulsion. Tout le contraire de ces fameuses « affinités électives » qui rapprochent étrangement les êtres à leur insu, sans qu’aucune hypothèse rationnelle ne puisse se déduire de cette attraction passionnée. Une pure effervescence de deux cheminements appelés à confluer, à ne plus connaître leurs propres limites, à se fondre l’un dans l’autre comme s’il en avait été décidé ainsi de toute éternité.