Alors donc que je m’apprêtais à inscrire quelque autre sentiment d’exaltation et de bonheur simple éprouvés par mon Héroïne, je te vis approcher, vêtue de cette sombre robe à carreaux verts et noirs, on aurait dit un vitrail ancien, je te vis encore poser tes mains jaunes aux longs doigts, des serres pareilles à celles des rapaces de haut vol, les ongles peints de rouge rubis, éclats de sang dans la pénombre de ma « garçonnière », poser tes doigts sur mes poignets afin d’en immobiliser la course, je ne pouvais plus frapper quelque signe que ce soit, je vis le compas de tes jambes s’ouvrir grandement, enserrer le contour de ma taille, ta robe s’écartant, j’apercevais la broussaille de ton sexe, j’y devinais tes lèvres humides et désirantes - Magda était bien loin, perdue dans sa mer de signes -, je vis l’antre de ton plaisir pris de sombres et étranges convulsions, tu ne disais mot, tes gestes suffisaient à te décrire telle celle que tu étais, cette Ombre habitant le clair-obscur des choses, peut-être leur unique émanation, à peine une vibration à l’entour du silence, je te vis saisissant ce verre d’absinthe jaune, couleur de soufre, je te vis y tremper le double arc de tes lèvres - était-il mauve, ou bien n’était-ce qu’un reflet, la teinte d’une éternelle affliction ? -, je te vis boire longuement ton breuvage, m’invitant à imiter ta libation, je vis, sur ma table transformée en guéridon pareil à une chair épanouie, un étui à cigarettes ouvert que jouxtait une boîte d’allumettes, tu saisis entre les brindilles raides de tes doigts une longue « Bridge » au filtre de liège que tu allumas, tirant de son tabac odorant de souples volutes de fumée, nous fumions alternativement et mes lèvres rejoignaient les tiennes, au travers de l’empreinte de ton rouge posé sur le mince cylindre de papier, je te vis entière ou presque, je vis le gouffre béant de ton sexe, tumeur arachnide, peut-être Damon Diadema au corps plat et triangulaire, peut-être Argiope Bruennichi à l’abdomen rayé de jaune et de noir, je te vis dans l’entièreté de ta monstruosité, incapable de faire le moindre geste pour me soustraire à ta gluante emprise.