Chapitre 1



De là où elle se trouvait, Amélie pouvais voir, au travers des vitre opaques des grandes portes d'aluminium, les ombres qui passaient et repassaient, fébriles ou plus lentes, comme les personnages pathétiques d'un théâtre d'ombres chinoises. Puis un grand vide se fit, il n'y eut plus un seul mouvement, comme si le temps se suspendait, respiration bloquée, marqué par l'angoisse latente et la peur, qui étreignait les cœurs de tous ceux qui se trouvaient là. Elle se mordait consciencieusement la lèvre inférieure, cachant dans la douleur qu'elle s'infligeait la frustration et la tristesse qui la submergeait. Son bras gauche était passé autour de celui de Gérald et elle avait posé la tête sur son épaule pour y puiser un peu de sa force.
Gérald était arrivé le premier, il suivait Hélène puisque Pavel était à la galerie. Pavel ne venait que rarement au tribunal lorsque Hélène plaidait. Ce jour là, peut être moins que les autres. Pavel peignait depuis deux jours, à la galerie, en secrêt. Il peignait une fresque énorme, un vol majestueux de milliers d'oiseaux multicolores. Amélie en avait vu l’esquisse, l’avant veille. C'était quelque chose de magnifique, peut être le plus beau tableau que Pavel ait jamais peint. Comment aurait il pu en être autrement, cette toile immense, qu’il réalisait en se cachant comme un voleur, était pour Hélène. C'était sa façon à lui de lui demander de l'épouser. Tout le monde était au courant, tout le monde, sauf Hélène.
Gérald était arrivé le premier. Il s’était tenu debout contre le mur immaculé de cette salle d'attente, silencieux. Il avait guetté Amélie près de la porte des urgences, pour lui raconter, des larmes dans les yeux, les heures qui venaient de s’écouler. C’était lui qui avait appelé les secours, organisé la circulation. C'était lui qui c'était précipité le premier jusqu'à l'amas de ferrailles tordues et fumantes qui avait été la voiture d’Hélène. Il lui avait tenu la main, allongé à même le macadam mouillé, sur le verre brisé du pare-brise et de la devanture du café, à moitié glissé sur le plafond déformé du véhicule renversé.
Amélie n'était pas loin, elle aussi roulait vers la galerie où Pavel attendait avec des petits fours et du champagne. Elle avait rangé les dossiers sur le bureau des avocats, raccompagné le client jusque sur le parvis du tribunal.
- Je suis désolée avait elle expliqué à cet artisan heureux d'être enfin sorti de son imbroglio juridique, mais Maître Dorgeval a un rendez vous très important, elle vous contactera dans la semaine.
Maître Jansemon, le patron du cabinet d’avocats pour lequel elles travaillaient toutes les deux, avait passé un instant la tête dans la salle d'audience vide, lui adressant un clin d'œil complice.
- C'est ce soir? Avait il seulement demandé.
Amélie avait juste hoché la tête et il lui avait répondu par un pouce en l'air. Tout le monde était au courant, tout le monde était heureux pour Hélène.
Amélie c'était faite coincer dans l'embouteillage juste après la rue des chalets, regrettant de devoir attendre là et de, peut être, manquer le bonheur de son amie quand Pavel l’accueillerai, un bouquet de fleurs à la main et dans l’autre, la superbe bague qu’elle l’avait aidé a choisir. Elle c'était rangée, montant à moitié sur le trottoir pour laisser passer les voitures de police et l'ambulance qui se frayaient difficilement un chemin, toutes sirènes hurlantes. Ce devait être grave! L'accident semblait avoir eu lieu à hauteur du "Sans pareil", le restaurant qui faisait l'angle du boulevard d'Arcole. Il y avait eu ensuite un véhicule de pompiers, un gros carré avec des rideaux métalliques sur des outils de désincarcération, puis le SAMU et une seconde ambulance. Elle pensait aux gens qui roulaient comme des fous et provoquaient des accidents. Elle pensait aux victimes, aux familles, à tous ceux qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle ne savait pas, pas encore ! Elle jouait à un jeu idiot, sur son smartphone, histoire de passer le temps, quand l'appel de Gérald l'avais cueillie. Il était fébrile, bafouillait, disait des mots sans suite, sans phrases construites. Ce n'était pas son Gérald ! Pas sa voix ni son calme habituel. Elle vérifia le numéro, deux fois !
- Je ne comprend rien, finit elle par dire, articule !
Mais Gérald ne se calmait pas. Elle réussit a pêcher quelques mots, dans ce flot continu et brouillon et ce qu'elle compris lui glaça le sang.
- Hélène ; accident grave, !hôpital Purpan!
Elle ne réalisa pas sur le moment, l'information refusait de monter jusqu’à son cerveau. Puis les mots s'assemblèrent en des images dramatiques et elle compris. Il était arrivé quelque chose à Hélène, quelque chose de terrible. Il lui fallu un temps interminable pour se dégager du magma lent et visqueux de la circulation, qui coulait lentement le long de l'avenue, entraînant ses véhicules vers les déviations mises en place par les forces de l'ordre. Elle tourna rue de l'hirondelle en traversant la circulation inverse, puis se perdit dans les sens uniques des «  Tres Pilliers » et d'Arnaud Bernard. Il était déjà tard et le boulevard Lascrosse étaient encombrées de travailleurs qui quittaient la citée administrative. Pas question de prendre les allées de Barcelone à cette heure là !
Il fallait qu'elle appelle Pavel ! Même si elle n'était pas sûre de ce qui était réellement arrivé ; Gérald avait dit hôpital Purpan, vite ! Et il semblait totalement bouleversé. Mais Gérald n'était jamais bouleversé. Depuis près de dix ans qu'elle le connaissait, Gérald n'avait jamais dit un mot plus haut que l'autre. Sa pudeur excessive ne laissait filtrer ses émotions que quand ils étaient seuls, quand il la tenait dans ses bras. Pourtant, un instant plus tôt, Gérald était bouleversé et il y avait des sanglots dans sa voix, de la peur aussi.
Il fallait qu'elle appelle Pavel, qu'il sache, qu'il vienne. Mon Dieu ! Lui qui était si heureux, qui attendait Hélène avec tant d'espoir. La circulation était bloquée boulevard Wagner. Elle prit une grande inspiration pour essayer de calmer les battements désordonnés de son cœur, puis composa le numéro de la galerie. C'est Lydia, la secrétaire de Gérald, qui prit l'appel. Amélie lui en fût reconnaissante, maintenant qu'il fallait qu'à son tour elle prononce les mots, elle en saisissait toute l'importance et la terrible signification.
Pavel était arrivé peu de temps après, à la porte des urgences. Certes, il allait plus vite avec la moto mais Amélie était certaine qu'il avait pris des risques insensés. Gérald avait commencé à se calmer, rassuré par la présence d'Amélie, mais ses idées étaient confuses et les émotions encore fortes. Il ne savait dire que la tôle tordue et torturée, Hélène inerte sur son siège, la tête en bas, retenue par sa ceinture de sécurité, l'airbag blanc qui pendait comme une baudruche et le sang qui coulait sur sa main, rouge, chaud, visqueux ; Le sang d'Hélène. Il pleurait doucement sur l'épaule d’Amélie, se raccrochant à l'amour qu'il avait pour elle. Enfin il commençât à respirer plus régulièrement, à calmer son débit de parole, à discipliner ses mots. Il prit une profonde inspiration et s'apprêtait à raconter ce qu'il avait vu, quand le bruit caractéristique de la Harley Davidson l'interrompit.
Maintenant, Pavel était là, anéanti. Son grand corps avachi dans un des nombreux fauteuils rangés contre le mur. Sa tignasse hirsute avait pris des teintes de cendre et ses yeux bleus si clairs n'étaient plus que des océans de larmes. Ils étaient restés un moment, devant la porte de verres des urgences, le temps que Gérald se redonne une contenance et qu'il puisse enfin raconter ce qu'il c'était passé.
Ils étaient partis en même temps avec Hélène, elle avait démarrée, peut être deux secondes avant lui et cela avait fait trois voitures d'écart lorsqu'ils étaient arrivés sur le boulevard. Il était un peu plus de 18h et la circulation était lente, mais fluide. Devant le " Sans Pareil" un véhicule lui avait cède le passage, Hélène c'était avancée au moment où le camion avait surgit, doublant à toute allure les voitures qui avançaient au pas. Il avait percuté la petite Renault de plein fouet, l'envoyant s'écraser sur la devanture du café dans un fracas de verre et de tôles. Gérald s'était jeté hors de sa voiture, le réflexe avait été plus fort que la raison. Il était arrivé le premier, alors les autres conducteurs étaient restés tétanisés par la violence du choc. Hélène était consciente, il en était sûr ! Elle lui avait tendu la main, elle n'avait dit qu'un mot: « Pavel! »
Cela faisait quatre heures qu'ils étaient là, dans cette salle d'attente aux murs nus et aseptisés, n'osant se regarder, gardant chacun pour soi, son angoisse et son chagrin, fermés dans le silence. Tous les soignants qui avaient franchis cette fichu porte d'aluminium n'avaient su dire qu'une chose.
- Il faut attendre...
Une heure plus tôt, les parents d'Hélène étaient arrivés de Montauban. Pavel s'était décidé a les prévenir. Depuis, ils étaient là, assis de part et d'autre de leur futur gendre, silencieux et tête basse. Madame Dorgeval avait glissé sa main dans la grosse main de nounours de Pavel et pleurait doucement, tamponnant ses yeux avec un mouchoir détrempé. Son mari se tenait droit sur son siège, les mains crispées sur le ventre, les yeux fermés, la respiration entrecoupée de sanglots retenus.
Puis ils étaient arrivés, chacun à leur tour, les amis, les collègues, même Maître Jansemon, qui avait essayé d'user de son influence pour en savoir un peu plus, mais en vain. Hélène était en salle d’opération, les médecins s’occupaient d’elle et il fallait attendre.
Amélie les regardait tous, alignés sur les sièges inconfortables, jugeant au chagrin que chacun essayait de cacher, le chemin parcouru depuis ce matin de septembre, quelques dix ans plus tôt, ou Hélène était entrée dans sa vie.